JNME 2006 – intervention Jean-Charles François


Intervention devant les enseignants de la composition électro-acoustique

Jean-Charles François directeur du CEFEDEM Rhône-Alpes

Lors de la Table Ronde, le 10 octobre 2006 au CNSMD de Lyon


Les questions auxquelles il faut se confronter tournent autour de la notion de “discipline”. Ici, le terme de disciplines pris dans le sens de « champ de connaissances » à transmettre dans le cadre des institutions d’enseignement.

Commençons par une affirmation – provocatrice mais chancelante – une hypothèse qu’il faudra nuancer : la musique électro-acoustique n’est pas (encore) une discipline constituée. Son intégration dans les structures d’enseignement pose problème. C’est bien sûr, pour cette raison qu’elle est intéressante.

Première difficulté : les problèmes qu’il convient de régler tiennent à une combinaison intime entre la question « Qu’est-ce qu’une discipline aujourd’hui ? », celle qui concerne la définition des savoirs à transmettre et celle liée à la structuration même de la mise en discipline.

Deuxième difficulté : les technologies électroniques semblent remettre en cause les fondements mêmes de la notion de discipline héritée des Lumières. L’ordinateur n’est qu’un outil au service de toutes les disciplines, mais il n’est pas un outil innocent, car il tend à chambouler les pratiques. L’accès facile et immédiat des technologies électroniques remet en cause l’éthique du travail et de la sueur constitutive de la discipline chère aux armées.

Troisièmement, faisons un détour par une exigence : pour se constituer en tant que discipline, un champ d’activité doit pouvoir se penser sur la totalité des processus de transmission des savoirs. On doit pouvoir s’adresser à tout un chacun, à des niveaux et des déclinaisons différents. Il est donc peut-être dangereux de séparer les logiques d’enseignement supérieur de ce qui le précède et notamment de ce que l’on envisage avec les débutants de tous âges.

Quatrième problème : la présence des disciplines constituées dans les écoles de musique est un obstacle majeur à leur démocratisation et à leur meilleure adaptation aux conditions nouvelles induites par la société électronique. Les corporations identitaires autour des instruments – le violon séparé de l’alto, les cordes séparées des vents, les instruments séparés de l’érudition et de l’écriture – empêchent au nom de l’excellence virtuose les diverses pratiques de s’exprimer. C’est la raison principale pour laquelle vos activités sont confinées dans les écoles de musique à une périphérie qu’on ne tolère que parce qu’elle est marginale.

Les Cefedem sont des institutions qui, depuis 1990, ont mission de former les professeurs de l’enseignement spécialisé de la musique et de les mener au Diplôme d’Etat de professeur de musique. Il faut noter qu’il n’y a pas de continuité entre le DE et le CA. Les formations au CA s’adressent à ceux qui ont suivi un cursus dans un CNSMD. Ceux qui obtiennent le DE en formation peuvent passer le CA sur épreuves. Le DE reste à Bac+2 et ne peut prétendre à ce titre à entrer dans le processus de Bologne (LMD). Le CA, malgré les six années d’études au CNSMD, reste à Bac+3.

Depuis 16 ans, au Cefedem Rhône-Alpes, nous nous sommes confrontés au type de problèmes énoncés ci-dessus. Le projet du Cefedem Rhône-Alpes tourne autour de plusieurs axes :

  • Développer une identité qui dépasse les champs disciplinaires sans les éliminer pour autant. Il s’agit de centrer cette identité sur l’enseignement de la musique, sur la construction collective d’institutions d’éducation, d’enseignement et d’encadrement des pratiques amateurs.
  • Confronter les disciplines instrumentales à de nouvelles formes de disciplines centrées sur des champs esthétiques, le jazz, la musique ancienne, les musiques traditionnelles, les musiques actuelles amplifiées. Il s’agit là de prendre en compte des pratiques qui ont tendance à ne pas séparer la technique de la musicalité, de la théorie et de la pratique.
  • Regrouper toutes les pratiques musicales sous un même toit, en organisant la rencontre sous une double exigence :
    • La reconnaissance mutuelle des spécificités des divers genres musicaux.
    • La rencontre des musiques dans le développement des capacités à travailler en équipe.

Si le développement de ces activités a permis la remise en question de la fixité des disciplines dans un monde instable, les disciplines organisées autour d’une esthétique posent à leur tour des questions épineuses. Prenons l’exemple du saxophone qui appartient notamment au jazz et à la musique classique : si on dit classe de saxophone, on n’a pas besoin de préciser l’esthétique, la filiation c’est Marcel Mule. L’introduction des musiques amplifiées a amené au Centre des étudiants qui se définissent comme « techno ». Appelons les « électro/techno », pour les distinguer, pour l’instant, des « électro-acoustiques ». Se posent plusieurs questions :

  • Dans toutes les écoles de musique faut-il un professeur « électro/techno » et un professeur « électro-acoustique » ?
  • Faut-il réserver l’ « électro/techno » aux petites écoles de musique et les studios d’électro-acoustiques aux CNR/ENM ?
  • Faut-il laisser l’ « électro/techno » à des écoles séparées, probablement privées et à caractère commercial, pour réserver le service public à l’ « électro-acoustique » ?
  • Les « électro/tecnos » ont-ils accès à l’enseignement supérieur dans le cadre de leurs pratiques artistiques ?
  • En bref, les « électro/technos » constituent-ils une discipline séparée de l’ « électro-acoustique » ?

Dernière ligne de questionnement : la recherche. Qu’est-ce au juste ? Les musiques électro-acoustiques sont les seules dans le champ des pratiques musicales où la recherche est réellement développée sur le plan international à un très haut niveau. La France dans ce contexte est à la pointe de cette recherche. On aimerait qu’il en soit ainsi pour d’autres pratiques et pour les recherches sur l’enseignement de la musique. Mais en même temps, les questions essentielles qui sont au cœur même de la constitution des disciplines ne sont que très peu abordées, elles restent à inventer. Dans le domaine des disciplines comme champ de transmission, les « électro/technos » ont exactement les mêmes problèmes, questions et dilemmes que ceux qu’il faut que vous vous posiez :

  • Transmet-on purement et simplement les aspects technologiques, c’est-à-dire, les logiciels ; les machines, leurs fonctions, etc. ? Si oui, on n’a plus besoin d’écoles, sinon il faut définir des valeurs. Ces valeurs sont-elles seulement éthiques, ou bien sont-elles d’ordre esthétiques ? C’est un problème épineux qui est loin d’être réglé.

Voici quelques pistes de travail pour tenter de définir les savoirs et en déterminer des valeurs :

  • Les questions qui gravitent autour de la signification, des codes et des perceptions.
  • Les questions qui tournent autour des termes de processus, de procédures, de dispositifs, d’agencements.
  • Les questions qui tournent autour de la notion de contexte et de la construction circonstancielle des valeurs, recherches interdisciplinaires à mener avec les Sciences humaines.
  • Les rapports de la technologie et de la musique dans ses aspects pratiques, historiques et musicologiques.