Association des enseignants et enseignantes de la composition en musique électroacoustique

terminologie

Acousmatique

Pythagore (VIe siècle avant J.C.) invente un dispositif original d’écoute attentive, en se plaçant derrière un rideau pour enseigner à ses disciples, dans le noir, et dans le silence le plus total. “Acousmatique” est le mot qu’il emploie pour désigner cette situation – et les disciples mêmes qui développent ainsi leur technique de concentration.

Dans les années 1950, lors de la grande aventure de la radiophonie, tandis que naissaient les premières “musiques de bruit” et que Pierre Schaeffer en définissait les premiers traits méthodologiques, l’écrivain et poète Jérôme Peignot déclara dans une émission : « Quels mots pourraient désigner cette distance qui sépare les sons de leur origine… Bruit acousmatique se dit (dans le dictionnaire) d’un son que l’on entend sans en déceler les causes. Eh bien ! la voilà la définition même de l’objet sonore, cet élément de base de la musique concrète, musique la plus générale qui soit, de qui… la tête au ciel était voisine, et dont les pieds touchaient à l’empire des morts ».

Pierre Schaeffer, dans son Traité des objets musicaux (1966) reprend le terme d’acousmatique et le rattache à “l’écoute réduite” : « le magnétophone a la vertu de la tenture de Pythagore : s’il crée de nouveaux phénomènes à observer, il crée surtout de nouvelles conditions d’observation».

Acousmonium

L’acousmonium est un dispositif de projection du son, également appelé orchestre de haut-parleurs. Il est constitué d’un ensemble d’enceintes acoustiques, réparties dans le lieu du concert, dont on fait varier l’intensité et la couleur de sortie du son à l’aide d’une table de projection (via filtres, câbles et amplificateurs) pour la mise en espace des œuvres interprétées.

Comme un film de cinéma, l’œuvre acousmatique, nécessite d’être projetée pour être appréciée dans toute sa dimension spatiale et imaginaire. L’immersion dans l’espace de projection plonge l’auditeur au cœur de l’expressivité de l’œuvre, la détaille, la révèle, et enrichit la perception du public d’une dimension plus vaste, par les choix d’implantation, les parcours du son dans l’espace, l’étagement des plans, le jeu sur les filtrages et les intensités définis par l’interprète.

Autour du cœur du dispositif, constitué d’une assise d’enceintes de référence (en neutralité et en puissance), est déployée toute une gamme de haut-parleurs aux caractéristiques précises, capables de restituer chacun une palette de couleurs distinctes : du suraigu à l’infra basse, chaque projecteur de son a été sélectionné, testé et calibré tant pour ses qualités propres que pour ses possibilités d’intégration à l’ensemble. On trouvera ainsi des projecteurs dont le rôle est de soutenir les crescendos ou les effets de masse, quand d’autres seront sollicités pour donner du contour, de la présence à une écriture détaillée, ou encore discrètement soutenir et arrondir des basses, faire étinceler des aigus, rendre un son creux, renforcer un effet d’éloignement ou de proximité…

Art acousmatique

L’art acousmatique est un art sonore. Les œuvres qui en sont issues sont des œuvres de support*. Cela signifie qu’elles sont fixées, définitivement : dans les années quarante sur des disques de cire, puis sur les bandes d’un magnétophone et aujourd’hui sur des mémoires numériques.

Ce support est au musicien acousmatique ce que la pierre est au sculpteur, la toile au peintre, l’épreuve au photographe, la pellicule au cinéaste. Comme le sculpteur son matériau, il taille dans la matière des sons, il construit, il détourne, souvent. Comme le peintre ses couleurs, il juxtapose, il mélange, il transforme, il compose. Comme le photographe, il saisit, il cadre, il éclaire, il surimprime. Comme le cinéaste enfin, il régit le temps, il crée le mouvement, il monte, il oppose, jouant de la répétition et de l’attente, de la continuité et de la rupture, de la fluidité et du heurt. Comment ? A partir d’un matériau initial : le son, au sens le plus large du terme. A partir de prises de son. Acoustiques, elles peuvent être faites à partir de jeux sur divers corps sonores choisis pour leur aptitude à “sonner”, d’univers habités d’événements caractéristiques, de parcours, de gestes ou de séquences jouées à dessein, voire de sons “figuratifs” ou de jeux sur des instruments traditionnels ou “exotiques”. Synthétiques, elles peuvent être constituées de sons ou de séquences électroniques jouées au synthétiseur, ou numériques, issues d’une programmation logicielle ou de transformations immédiates d’événements sonores.

Et que fait le compositeur de ces prises de son accumulées ? Il les classe, et opère sur elles des choix, une répartition, des coupures, puis de multiples transformations dans un studio équipé de nombreux appareils issus de l’évolution technologique de ces dernières décennies. Montage, inversion, mise en boucle, transposition, échantillonnage, compression, gel, réverbération, écho, délai, filtrage, mixage, accumulation, sont autant d’opérations fondamentales dont le principe s’est imposé depuis près de soixante-dix ans, à travers une déjà longue pratique et une histoire.

Pour peu, donc, qu’il porte en lui un monde sonore suffisamment riche, son savoir faire, sa sensibilité, son intuition, son goût du jeu lui dictent les détails de son travail au fur et à mesure qu’il l’entend : en un constant aller retour du faire à l’entendre, il élabore ainsi progressivement son œuvre, dans une démarche qui tient autant de la volonté, d’un projet préalable de composition (le choix d’une thématique, d’un univers sonore, d’une structure, d’un découpage) que de la sensibilité, rendant possible l’invention d’une écriture par l’exploitation des synchronismes, des accidents, des contrastes, des similitudes, des diffractions, des convergences. Rigueur et liberté, sens de la construction et goût du geste, volonté et disponibilité sont des qualités également nécessaires pour parvenir à une œuvre cohérente, qui, au-delà de la surprise, captive et accroche l’écoute.

Enfin, comme le cinéaste, il projette ensuite son œuvre devant le public à travers un dispositif de projection du son : un orchestre composé de haut-parleurs de différentes “couleurs” et de différentes puissances, disséminés dans l’espace du concert, de la galerie, du musée, du lieu public selon qu’il a choisi de composer pour le concert, l’installation sonore ou tout autre forme d’expression acousmatique. A travers ce qu’on peut appeler une interprétation (des choix d’implantation, une spatialisation, un jeu sur les intensités et les couleurs, des filtrages) il rend son œuvre accessible au public, désormais livré au seul empire de l’écoute.

Concret (à propos du terme)

En 1948, Pierre Schaeffer écrivait : « Nous appliquons le qualificatif d’abstrait à la musique habituelle du fait qu’elle est d’abord conçue par l’esprit, puis notée théoriquement, enfin réalisée dans une exécution instrumentale. Nous avons en revanche appelée notre musique concrète, parce qu’elle est constituée à partir d’éléments préexistants empruntés à n’importe quel matériau sonore, qu’il soit bruit ou musique habituelle, puis composée expérimentalement par une construction directe ».

Puis, en 1975, lors d’un entretien radiophonique, il reprécisait : « le mot concret ne désignait pas une source. Il voulait dire qu’on prenait le son dans la totalité de ses caractères. Je reconnais que le terme concret a été vite associé à l’idée de sons de casserole, mais, dans mon esprit, ce terme voulait dire d’abord qu’on envisageait tous les sons, non pas en se référant aux notes de la partition, mais en rapport avec toutes les qualités qu’ils contenaient ».

L’aspect expérimental de la “démarche concrète”, c’est d’aborder la composition en la fondant en grande partie sur l’écoute directe du résultat, en un constant aller retour du faire à l’entendre, à partir de sons créés ou captés et transformés. On travaille alors sur le “concret du son” et non avec du “son concret”.

En effet, même s’il fut parfois utilisé par le passé, le terme de “son concret” est impropre, source de malentendus et faussement réducteur, puisque la musique concrète utilise autant les sons d’origine acoustique que ceux électroniques et de synthèse. L’œuvre Musique sans titre, composée par Pierre Henry en 1950, comporte des sons produits par une onde courte, et Haut voltage, créé en 1956, contient des sons électroniques.

Démarche concrète

C’est l’aspect expérimental de cette démarche – où, en un constant aller retour du faire à l’entendre, la composition est fondée sur l’écoute directe du résultat à partir de sons créés ou captés et transformés – allié à une manipulation de sons “bruts”, déjà “ trouvés”, qui pousse Pierre Schaeffer en 1948 à forger le terme fort évocateur de “musique concrète”. Il renvoie explicitement à celui de musique “abstraite” instrumentale qui se conçoit, elle, “à la table” de manière “théorique”, c’est-à-dire en dehors de tout contact direct avec le matériau, et dont la conception passe par l’abstraction d’une codification, d’un langage : le solfège.

Comme pour le peintre qui voit son tableau prendre forme au fur et à mesure qu’il le peint, la “démarche concrète” s’applique essentiellement à l’“écriture” du support – articulations, mélanges, équilibres, etc. – et ne désigne aucunement pour Schaeffer une méthode de composition qui serait fondée sur la seule intuition.

Avec le temps, les technologies électroniques analogiques puis informatiques ont désormais largement influencé la pensée et modifié les pratiques de conception et d’écriture des nouvelles générations de compositeurs de musique instrumentale. Aussi, les différences entre les démarches des uns et des autres, pour peu qu’ils pensent le son dans toutes ses dimensions, se sont largement amenuisées.

Électro(-)acoustique

Avec le trait d’union, le mot “électro-acoustique” est utilisé lorsqu’il est associé à la technique et au matériel. Et c’est ainsi qu’il est écrit dans divers textes, dictionnaires et encyclopédies. Adopté après débat voilà plus de trois décennies par les acteurs de cet art, le mot “électroacoustique” (sans trait d’union) est utilisé, par convention, pour désigner la “musique électroacoustique” savante. On parle parfois simplement d’“électroacoustique”.

Mais ce raccourci reste ambigu car la suppression du mot “musique” a permis aux détracteurs d’une création purement électroacoustique de rejeter cette discipline artistique dans un domaine purement technologique. Ainsi on parle de nouvelles technologies appliquées à la composition instrumentale, ou encore de techniques du son.

Électroacoustique, musique concrète, art acousmatique, une carte pour se repérer, pas pour exclure

L’électroacoustique recouvre l’ensemble des genres musicaux faisant usage de l’électricité dans la conception et la réalisation des œuvres.

Ainsi sont électroacoustiques les œuvres de support (identifiées à l’art acousmatique), les œuvres mixtes (mêlant instruments et piste sonore fixée sur support), les œuvres ‘live electronic’ (synthétiseurs ou ordinateurs en direct, corps sonores et instruments avec dispositifs de transformation électronique ou numérique…), les œuvres pour instruments acoustiques et transformations en temps réel préprogrammées, les œuvres pour instruments ou corps sonores amplifiés (à condition que cette amplification intervienne de manière décisive dans l’esthétique et les choix de composition), les installations sonores interactives, etc.

L’art acousmatique regroupe les musiques concrètes ou acousmatiques, les créations radiophoniques et Hörspiele, les musiques acousmatiques d’application (pour le théâtre, la danse, le cinéma, la vidéo…), les installations sonores travaillées sur support audio diffusé sur haut-parleur (dont la conception visuelle n’installe pas de rapport direct de cause à effet avec le résultat sonore entendu)(1), certaines réalisations de poésie sonore(2) pour celles qui se rapprochent de la création radiophonique.

1 – Ainsi une installation sonore qui présenterait un dispositif utilisant de l’eau dont le goutte à goutte sur un corps résonnant serait capté par un micro et amplifié par un haut-parleur, ne relève pas de l’art acousmatique mais de l’électroacoustique.

2 – Si dans certains cas la poésie sonore se concrétise sur un support audio, elle est bien souvent électroacoustique, la bande ou le CD n’étant utilisé que comme moyen d’enregistrer une prestation live d’une lecture, d’une interprétation ou d’une improvisation. On retrouve ici la même ambiguïté que dans l’art vidéo qui place en général sur le même plan des documents filmés de performances, et des œuvres écrites par et pour l’image (avec transformations, montages, mixages…).

Musique concrète, électroacoustique ou acousmatique, quelles différences ?

Il est intéressant de noter la symbolique de l’évolution sur trente ans des trois principales appellations françaises : 1/ musique concrète suggère la façon dont le créateur, une fois son projet établi, élabore son œuvre en studio selon la fameuse démarche concrète avec écoute immédiate du résultat de ses manipulations, et un aller retour constant du faire à l’entendre. 2/ Musique électroacoustique se réfère à la dimension technologique du travail : les machines, les outils de réalisation ainsi que la nature (électronique ou acoustique) des matériaux qu’il emploie. 3/ Avec musique acousmatique c’est la situation d’écoute qui est qualifiée, où le son enregistré est affranchi de sa cause initiale, qu’elle soit encore reconnaissable ou non.

Ainsi, dans les appellations utilisées, ont été mis en avant tour à tour l’élaboration concrète de l’œuvre, puis les moyens de sa production, et enfin sa perception par le public. C’est l’ouverture progressive de l’art acousmatique à des moyens et des publics nouveaux que le parcours sémantique à travers les maillons de cette chaîne élaboration-production-réception exprime bien : à la découverte et à l’exploration de compositeurs pionniers a succédé la conquête des moyens par les chercheurs et techniciens collaborant avec eux, avant que les auditeurs s’emparent pleinement des œuvres faisant de leur perception auditive un vrai spectacle.

Interprète acousmatique

En quoi consiste l’interprétation d’une œuvre acousmatique ? Une œuvre acousmatique est le résultat d’un travail de studio définitivement fixé sur support audio. Elle peut être écoutée chez soi ou en concert, interprétée sur un dispositif de projection du son. À la console, le régisseur a un véritable rôle d’interprète de l’œuvre en public. Tout comme le chef d’orchestre, il se charge de préciser les nuances, les contrastes et les couleurs, les effets de masse et les soli, le relief et bien sûr la mise en espace, avec ses effets cinétiques, ses mouvements proche/lointain, gauche/droite, etc. Cela nécessite des répétitions, une grande concentration, une connaissance parfaite de l’œuvre et des qualités musicales qui ne se rencontrent que chez des musiciens expressément formés et motivés. A ces conditions, l’œuvre acousmatique acquiert une véritable seconde vie au concert, impossible à restituer par la seule écoute sur disque.

Musique mixte

Une œuvre mixte combine deux mondes sonores fort différents tant dans leur conception et leur réalisation que dans la perception des auditeurs : l’un, conçu, concrétisé et maîtrisé dans les moindres détails par le compositeur lui-même, est élaboré en studio, fixé dans sa forme définitive sur un support audio, puis mis en espace dans le lieu du concert par un interprète acousmatique ; l’autre résulte de la transmission d’une partition criblée de signes à des instrumentistes qui produisent et interprètent en direct, au plus près de ce qui y est écrit, les sons, les articulations, les phrases et la structure de l’œuvre. C’est ce mélange qui donne toute sa saveur aux gestes musicaux, aux morphologies sonores et aux modes de jeux propres à ces deux univers.

La terme “mixte” fait référence à la présentation simultanée de deux manières absolument différentes de composer et produire les sons : l’une par le jeu direct sur des instruments acoustiques ou des corps sonores, l’autre par la projection sur haut-parleurs d’une partie électroacoustique réalisée préalablement en studio et fixée sur support audio.
La mixité ne réside pas dans le fait d’avoir des sons instrumentaux avec des sons d’autres provenances, mais bien dans la superposition d’une musique jouée en direct avec une musique fixée sur support audio.

L’appellation “musique mixte” n’intègre donc pas les œuvres qui font cohabiter sons électroniques ou numériques produits en temps réel et sons produits par des instrumentistes. Pour ce type de composition, on parle de musique en temps réel ou, de façon plus explicite, de musique pour instruments et dispositif de transformation en direct ou en temps réel.

Séquence-jeu

La notion de séquence-jeu fut introduite par Guy Reibel dans l’enseignement de la composition électroacoustique afin de replacer le geste instrumental et son déploiement dans la durée au centre du jeu sur les corps sonores. Il entendait sortir ainsi de l’écriture par montage d’objets et mixages de trames.

Avant d’enregistrer une séquence-jeu à partir d’un corps sonore, il faut d’abord en expérimenter toutes les possibilités, en relation avec le meilleur emplacement possible du micro, afin de déterminer le paramètre dont on tirera, par des gestes maîtrisés, une “écriture” variée. Respectant ainsi le principe de permanence-variation propre à tous les instruments, on jouera selon un déroulement exempt de toute velléité de construction arbitraire, de tout langage établi, portant toute son attention sur le seul paramètre choisi, les autres n’évoluant, naturellement ou accidentellement, qu’en fonction de celui-ci.
Il s’agit en quelque sorte d’une improvisation très cadrée, non pensée comme une composition mais comme une écriture, où le détail des inflexions, des nuances, des élans, des profils mélodique, rythmique et dynamique, etc., forme un phrasé comparable à celui d’une ligne de contrepoint d’école que nulle répétition, nulle stagnation, nul parti-pris arbitraire ne vient freiner, rompre ou dévier.

En bref, une séquence-jeu est une phrase musicale, de deux à trois minutes, obtenue par une continuité d’exécution à partir d’un mode de jeu unique sur un seul corps sonore et dont le déroulement toujours renouvelé respecte les caractéristiques “naturelles” du dispositif.

Denis Dufour / Thomas Brando