JNME 2003 – Débat


Débat faisant suite à la Table Ronde des Journées de l’Electroacoustique 2003

dont le thème était :

Quel(s) avenir(s) pour nos classes de composition électroacoustiques ? et pour nos étudiants ? Quelle est la politique de l’état concernant la composition musicale en France ?

Transcription et rédaction effectuées par Anne Veitl


DEUXIÈME PARTIE : DÉBAT

En prolongement de l’intervention de Fernand Vandenbogaerde, le débat avec la salle s’engage à partir d’une première question (posée par un étudiant) à propos de la procédure des commandes d’oeuvre par l’Etat. Sont évoqués la difficulté, pour un étudiant, de monter un dossier, et le manque d’information, de la part de l’Etat, pour les démarches concrètes à effectuer.

Fernand Vandenbogaerde rappelle que, malgré ces difficultés, il a pu comptabiliser, depuis 1997, un tiers de premières commandes parmi l’ensemble des commandes d’Etat, « ce qui montre qu’il y a des jeunes compositeurs qui entrent dans le processus », selon ses propos.

Michel Pascal (CNR de Nice) intervient pour dire que cela pose plus généralement le problème de la situation et de la reconnaissance professionnelles des compositeurs dans le monde d’aujourd’hui. Selon lui, l’enjeu serait que l’Etat développe désormais les aides en faveur des « moyens de diffusion », après avoir structuré ce qui relevait de la pédagogie et des lieux de création. Car, même si les étudiants ont aujourd’hui plus d’occasions de se faire jouer que les générations précédentes, il faudrait une réelle politique de l’Etat en la matière.

Selon Fernand Vandenbogaerde, les centres et studios de création ont un rôle important à jouer dans l’insertion professionnelle, après le cursus d’étude. Il aborde aussi la question des résidences de compositeurs. Il explique que ce dispositif d’aide demanderait à être davantage structuré, afin qu’un plus grand nombre de structures soit impliqué : notamment les orchestres, ainsi que les Scènes Nationales où la musique contemporaine est encore assez peu présente.

La discussion se poursuit avec une intervention de Roger Cochini (ENMD de Bourges) sur « ce que nous avons en commun : la pensée schaefferienne ».
Il convient que la situation actuelle est difficile à vivre, mais que de nouvelles dynamiques sont en cours et que le « modèle schaefferien » pourrait apporter beaucoup à l’enseignement musical en général, aux conservatoires, et pas seulement aux départements d’électroacoustique. Selon Roger Cochini, les enseignants de composition électroacoustique sont porteurs d’un « modèle de réactivation et de réactualisation de l’ensemble des problèmes », même s’ils ont des difficultés à l’imposer et à le mettre en place.
Il explique que la « pensée schaefferienne » concerne un modèle de fonctionnement, issu de la radio, qui permet une meilleure « intégration » de toutes les activités dans un établissement : par exemple, l’intégration d’une classe dans un conservatoire et avec l’extérieur.
Mais c’est aussi une pensée « interdisciplinaire ». Elle est cependant désormais « éclatée », depuis qu’elle n’existe plus dans les lieux où elle est apparue. L’enjeu est : « comment reconstituer cette unité disparue ? ». Il ne s’agit pas d’uniformiser, mais de mieux identifier et mettre à jour un « tronc commun », à utiliser comme une « ressource ».
Roger Cochini est d’avis que « si nous voulons que les choses avancent, nous avons à nous définir nous-mêmes, notre métier, et à le communiquer aux partenaires ».

Sur le sujet du « tronc commun », Michel Pascal formule la proposition de rédiger « un cahier des charges ». Il s’agirait de mener collectivement un « travail de base sur ce qu’on voudrait faire passer et comment le faire passer », ceci en plus de « la technique ou de l’acquisition de Schaeffer qui nous rassemble ».

A propos des modèles et lieux de la musique électroacoustique, Christian Eloy intervient pour faire remarquer que « la demande de transversalité », clairement formulée par les étudiants, amène à remettre en question les cadres institutionnels, les « moules » et les « murs » en place, selon ses mots : « ce serait une grande erreur de vouloir toujours remettre les choses dans les mêmes moules institutionnels. Cela a été la limite de la musique électroacoustique dans le moule de la musique : cela ne passait pas toujours, le moule était parfois trop étroit ».
Et Christian Eloy questionne : « en ce moment, peut-être sommes-nous à la croisée des chemins. Est-ce que les avenirs ne consistent pas à faire éclater complètement ces murs ? »

Un étudiant, dans la salle, réagit à tous ces propos en relevant qu’il existe, parmi les enseignants de musique électroacoustique, deux courants : l’un « institutionnaliste », l’autre plus « libertaire ».
Il est d’avis que les deux courants devraient pouvoir coexister, et ceci à l’intérieur-même de chacune des classes de composition électroacoustique.

A propos de l’enjeu de l’ouverture/fermeture des classes, Bertrand Dubedout fait remarquer que s’il faut « s’ouvrir au monde », une école de musique doit aussi jouer le rôle de « protection pour opérer des acquis fondamentaux et spécifiques ».

Michel Pascal intervient à nouveau, pour revenir sur « l’apport schaefferien ».
Selon lui, il faut travailler des « deux côtés », c’est-à-dire en recréant d’une part un cursus d’enseignement supérieur, une « superstructure », qui a disparu depuis que le GRM n’a plus la responsabilité d’une classe d’électroacoustique au CNSMP ; d’autre part, « en bas », il faut travailler à l’échelle des classes de formation musicale, auprès des enfants et jeunes.
Il questionne : « l’apport schaefferien, c’est la manière dont on envisage le son. Est-ce que nous ne pourrions pas transposer une partie de cet apport-là à l’intérieur des classes de formation musicale, dès le départ, de manière à ce que les gens qui vont se former à leur instrument aient déjà un minimum de culture du son, telle que nous la pratiquons aujourd’hui, mais uniquement avec des adultes ? ».

En prolongement de ces propos, Henry Fourès prend la parole pour rappeler d’abord le rôle historique des « collectifs de création » (comme le GMEB et le GMEM) dans la mise en place des premières classes d’électroacoustique en France. Ces « collectifs », alors en voie d’institutionnalisation, ont véritablement « généré un enseignement ».
Henry Fourès explique qu’il s’est produit depuis « une désolidarisation des studios par rapport aux classes d’enseignement ». Il fait aussi remarquer, au passage, que « si on regarde ce qui passe aujourd’hui, tous ces centres sont devenus des promoteurs de festivals. Si vous regardez la programmation de ces centres, il n’y a quasiment pas de concerts de musique électroacoustique ! ».
Etant lui-même élève à ce moment-là, Henry Fourès fait l’analyse que Pierre Schaeffer a contribué à cette « désolidarisation » en acceptant de transformer le « stage du GRM » en une « vraie classe » du CNSMP, classe qui est devenue le modèle pour les classes en région. En quelque sorte, « même Schaeffer s’est laissé piéger. Il a fonctionné avec le même type de schéma structurel que les autres classes, pour situer son travail au sein de l’institution ». A partir de là, « une grande chance a été loupée : l’électroacoustique était de mon point de vue le moteur formidable pour réinterroger ce qu’on appelle en France la formation musicale. C’est le lieu-même de la formation musicale ».
Le problème plus fondamental est, selon Henry Fourès, celui de la place d’une classe de composition dans une institution d’enseignement musical. L’entrée dans le cursus de composition devrait s’effectuer dès 10-12 ans, de la même manière que l’étude de la langue française se combine avec la pratique de l’expression écrite : « cela devrait être comme un classe de français en 6°. On fait de la grammaire et, en même temps, on fait des dissertations. Pourquoi faut-il attendre le post-cursus où on accueille à la fois des non-professionnels et des professionnels ? Il serait beaucoup plus intéressant d’imaginer que l’électroacoustique commence pour des gamins de 10 ans. C’est là qu’on pourrait utiliser le vecteur de la formation dans toute son amplitude, c’est là que la vraie contamination d’esprit se ferait. Ensuite, il y aurait des gens qui seraient des amateurs d’électroacoustique ; dans le même temps, certains se spécialiseraient pour devenir des professionnels ».

Après une pause, le débat reprend sur le problème (pointé par les étudiants) de « l’élitisme », de la fermeture des accès aux classes de composition électroacoustique.

Christine Groult (ENMD de Pantin) intervient pour expliquer qu’elle a été obligée d’instaurer une sélection à l’entrée de sa classe, étant donné la demande trop importante. De son point de vue, « cela devient absurde ». Elle pense qu’elle se « coupe d’un terrain, de gens qui amènent une espèce de vitalité en étant complètement amateurs ».
Christine Groult formule aussi des souhaits qui rejoignent ceux des étudiants : pouvoir avoir un assistant, mieux prendre en charge les aspects techniques, organiser des cours spécifiques autour des techniques du son en vue d’une ouverture vers les métiers du son, travailler davantage avec les autres classes du conservatoire de Pantin (classes de formation musicale, comme classes d’instrument).

Sur ce sujet, Roger Cochini rappelle qu’à Bourges il a actuellement 35 élèves et qu’il n’existe pas d’examen d’entrée. Il explique qu’il a mis en place une multiplicité d’activités afin que l’Ecole Nationale puisse répondre à la « demande publique » qui existe localement. Cela relève selon lui des « missions » d’un établissement d’enseignement musical en région, missions qu’il s’agit d’inscrire dans le projet d’établissement.
Parmi les activités diverses proposées à l’école de musique de Bourges, Roger Cochini évoque le cursus de deux années en « Arts et Techniques sonores ». Il ne s’agit pas d’y former des « techniciens », mais « d’essayer d’initier et de recevoir un public qui n’est pas professionnel et qui, pendant deux ans, pratique et écoute beaucoup de musique, et, en travaillant, passe dans le cursus de composition en fin de compte ». En outre, les débouchés professionnels seraient nombreux, dans des milieux très variés (hôpitaux, milieu carcéral).
Roger Cochini évoque aussi les « ateliers » en direction des adolescents, qui sont souvent préparatoires au cursus en « Arts sonores ». Toutes ces activités concernent, selon sa formule, « l’expression électroacoustique » et la « communication », au sens large.
Il convient néanmoins, tirant la leçon de toutes les activités qu’il avait menées auparavant dans le cadre du GMEB, que les expériences pédagogiques accumulées depuis les années 1970, en dehors du système d’enseignement musical spécialisé, n’ont pas été intégrées dans les écoles de musique et les conservatoires. Cela fonctionne en milieu scolaire et l’enjeu serait de pouvoir faire la synthèse de toutes ces expériences.

A propos, justement, de la musique dans le système scolaire, la question des relations avec les CFMI est soulevée par Michel Pascal.
Plusieurs personnes font part de l’existence, dans certains CFMI, d’activités d’initiation à la musique électraocoustique et ils font remarquer que cela se retrouve ensuite dans les activités pédagogiques des « Dumistes » en milieu scolaire.

Roger Cochini, qui a enseigné plusieurs années au CFMI de Lille, explique que l’apport depuis les CFMI concerne aussi les écoles de musique et les conservatoires, notamment en ce qui concerne « l’apport de l’héritage schaefferien, au sens de l’écoute ».

L’idée est émise d’organiser une table ronde avec des « musiciens intervenants » qui viendraient témoigner de ces expériences.

Ivan Khaladji (ENMD de Sevran) prend ensuite la parole pour poser la question de la sensibilisation du public en général, car le problème est selon lui que le public ne sait même pas que la musique électroacoustique existe.
Il raconte comment cela s’est passé à l’école de musique de Sevran : « je suis entré en tant que professeur de claviers et, à partir de là, j’ai commencé une sensibilisation à l’écoute de l’électroacoustique. J’en suis arrivé à mettre en place un premier cursus qui était un atelier basé sur l’écoute essentiellement, sur la pratique avec des corps sonores ou des jeux vocaux qui permettaient immédiatement de rentrer dans un processus d’invention ».
Ivan Khaladji explique aussi qu’il « enseigne la même chose aux étudiants du CFMI d’Orsay. Petit à petit, ils deviennent curieux, leur motivation grandit et ils ont envie de savoir ce que c’est ». D’après lui,  » lorsqu’on n’a pas ce type d’initiation, on peut être fixé sur un certain type d’activité d’écoute et on est assez hermétique à des musiques comme la musique contemporaine ».
En ce qui concerne les débouchés professionnels d’un compositeur-enseignant de musique électroacoustique, Ivan Khaladji fait l’analyse qu’il faut commencer « par voir comment, sur les différents terrains qui sont les notres, on peut trouver des réponses ».

Roger Cochini intervient à nouveau, cette fois-ci sur le problème général de la pédagogie. Il fait le constat qu’il n’y a plus de recherche pédagogique au sens fondamental et que « le danger qui nous guette, dans les conservatoires, c’est d’arriver comme une chose de plus parmi beaucoup d’autres choses ».
Or les enseignants d’électroacoustique ont été au centre de toutes les démarches pédagogiques nouvelles depuis 20-30 ans.

En prolongement de ces propos, et en écho aux rappels historiques d’Henry Fourès sur les occasions manquées de renouvellement de la formation musicale, Christian Eloy évoque un autre « ratage », celui de « de l’emploi du magnétophone dans la pédagogie musicale, très globalement ».
De son point de vue, « on continue dans la même voie. Et pourtant, tout cela a été amorcé. On a tous été de ces aventures (le mot n’est pas trop fort) avec des jeunes enfants, où c’est extraordinaire. Et pourtant, ce n’est pas généralisé (…) ».

Un étudiant intervient à la fin du débat pour rappeler qu’on a beaucoup parlé de pédagogie, mais très peu de politique.
« vous avez parlé de l’héritage de Schaeffer… effectivement c’est un héritage fabuleux, mais vous parlez de marché : il n’y en a pas !
Nous ne pouvons pas faire comme si rien ne s’était passé cet été : il y a eu le mouvement des intermittents du spectacle, et puis le forum Larzac 2003, qui est une grande mobilisation sociale et politique. Quelqu’un faisait remarquer que même dans ce forum, les formes musicales sont très conventionnelles.
Manu Chao, qui était invité du forum, prétend faire de l’art politique !
Plutôt que faire de l’art politique, faisons politiquement de l’art ! « 

Anne Veitl fait remarquer que le temps du débat est dépassé : la séance est donc levée à 13 h 15.


(Rédaction : Anne Veitl, novembre-décembre 2003)


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